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le Christ de pitié, Jean Malouel
En janvier 1985, le curé de Vic-le-Vicomte (4 800 habitants, Puy-de-Dôme), ayant besoin d’argent pour chauffer son église, propose de vendre un lot de bancs à un brocanteur de Clermont-Ferrand. Le brocanteur refuse les bancs, mais emporte d’autres bricoles, dont un tableau sans charme particulier, qu’il achète pour les moulures en bois doré de son cadre.
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Le tableau aux couleurs ternes, peint sur bois, représente un Christ descendu de la Croix, dont le bas du corps est enveloppé d’un drap verdâtre ; il est entouré de la Vierge et de Jean l’évangéliste. Le tableau ne trouve pas preneur.
Le brocanteur va voir un de ses amis, antiquaire, Christian B., qui constate qu’une écaillure laisse apparaître un fond doré. Il lui conseille de faire nettoyer le tableau. Le brocanteur confie le travail à un restaurateur local, Eric M., qui travaille de mars à décembre 1985. Alors apparaît un Christ sur fond d’or, entouré d’anges, d’une beauté remarquable. (Sa restauration sera achevée par des spécialistes dans les années 2000).
Le brocanteur va mettre des années à chercher l’auteur du tableau, achetant des livres d’art, et visitant les musées. Il se demande s’il pourrait s’agir d’un tableau de Jean Malouel peintre officiel des ducs de Bourgogne. Il se rend chez Christie’s, à Paris, mais l’expert ne croit pas à son hypothèse. Il lui en propose 300 000 francs (45 000 euros), et le brocanteur repart avec son tableau.
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Un chef-d’œuvre du XVe siècle
En 1999, le brocanteur finit par prendre contact avec le conservateur en chef du département des peintures du Louvre, qui fait faire une expertise. La suite est connue : le tableau est bien une œuvre de Jean Malouel, Il pourrait avoir été commandé par Philippe le Hardi. Considéré comme un chef-d’œuvre de l’art gothique international, il avait été repeint au XVIIe siècle, ainsi que l’indique l’inventaire paroissial de Vic-le Vicomte, en date de mai 1952, retrouvé en août 2003.
Le musée du Louvre souhaite l’acquérir, mais cela prendra encore des années : la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat a en effet attribué aux communes la propriété des biens garnissant les églises. La commune de Vic-le-Comte pourrait considérer que le tableau lui appartenait et que le curé (décédé en 1989) n’avait pas le droit de le vendre.
Le 4 novembre 2011, un protocole transactionnel est finalement conclu entre le brocanteur, la commune, le ministère de la culture et le musée du Louvre : il dit que le brocanteur recevra 7,8 millions d’euros et en reversera 2,3 millions à la municipalité. En mai 2012, le tableau, intitulé Le Christ de pitié soutenu par Saint-Jean et deux anges, est accroché au Louvre, en grande pompe.
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Convoitises
Le brocanteur a toujours voulu conserver l’anonymat, sans doute pour garantir sa tranquillité, tel un gagnant du loto. Néanmoins, sa soudaine richesse a attiré les convoitises. Le 4 septembre 2012, l’antiquaire, Christian B., l’assigne devant le tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand. Il réclame la moitié du produit net de la vente du tableau, qu’il considère comme un « trésor », au sens de l’article 716 du code civil. Celui-ci dit notamment : « Le trésor est toute chose cachée ou enfouie sur laquelle personne ne peut justifier sa propriété, et qui est découverte par le pur effet du hasard. »
L’antiquaire revendique la qualité d’« inventeur » du trésor (celui qui le découvre). Il estime en effet qu’il a joué « un rôle décisif » dans sa découverte, en repérant des éclats de dorure sous une écaillure, et en conseillant au brocanteur de faire nettoyer le tableau, afin de vérifier ce qui pouvait éventuellement se trouver en-dessous. Le brocanteur répond qu’il s’est « contenté de lui conseiller de faire nettoyer le tableau, rien de plus ».
Trois mois plus tard, c’est au tour du restaurateur d’art, Eric M., d’assigner le brocanteur, en se prétendant lui aussi « inventeur du trésor », au motif que c’est lui qui l’a révélé, sous le repeint. Le brocanteur répond qu’il n’a fait « que son travail, pour lequel il a été rémunéré, rien de plus ».
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« Chose cachée ou enfouie… »
Le tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand se demande si le tableau constitue un trésor, ce que conteste le brocanteur, et si la qualité d’inventeur peut être reconnue à l’antiquaire et au restaurateur.
Selon l’article 716 du code civil, le trésor est une chose « cachée ou enfouie » : le brocanteur soutient que la peinture de Jean Malouel n’était pas cachée, puisque « des dorures visibles la laissaient deviner ». Néanmoins, juge le tribunal, ces dorures ne correspondaient qu’« à une infime partie de la représentation picturale ». En outre, le tableau apparent ne montrait que « trois protagonistes au lieu de cinq » (les anges étant masqués). Quant à l’inventaire paroissial du mois de mai 1952 qui fait état d’un repeint sur un tableau du XVe siècle, il n’était « connu d’aucune des parties jusqu’en 2003 ». Le chef-d’œuvre de Malouel était donc bien « caché » sous une croûte.
Le trésor est une « chose sur laquelle personne ne peut justifier sa propriété » : le brocanteur affirme qu’ayant acheté le tableau, il était propriétaire du chef-d’œuvre que celui-ci recelait. Mais le tribunal n’est pas d’accord. Il constate qu’« il ne peut justifier de l’antériorité de sa propriété sur l’œuvre » : personne ne sait qui était propriétaire du tableau de Jean Malouel avant sa dissimulation sous une peinture grossière. D’ailleurs « la propriété du tableau a été tellement sujette à caution qu’elle a suscité des années de négociations et un protocole transactionnel ».
Le tribunal juge, le 17 décembre 2014, que le tableau est bien un « trésor », et que son inventeur peut prétendre à la moitié de sa propriété.
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« Découverte par hasard »
Pour revendiquer l’invention du trésor, il faut prouver qu’on a découvert celui-ci « par le pur effet du hasard ». Le tribunal juge que l’antiquaire « ne peut sérieusement prétendre avoir découvert le trésor, alors que ce n’est pas lui qui, par sa seule intervention et l’effet du pur hasard, a mis au jour la peinture de Jean Malouel ». Le rôle qu’il a joué n’excède pas « le simple conseil entre professionnels unis par des liens d’amitié ». Il le déboute.
La cour d’appel de Riom, qu’il saisit, confirme son jugement, le 4 avril 2016, en observant que « les parcelles dorées sur la peinture superficielle étaient visibles de tous, et que si réellement l’antiquaire avait pu soupçonner la valeur exceptionnelle de la peinture d’origine, il n’aurait sans doute pas manqué d’acquérir le tableau qui était en vente chez le brocanteur ».
Les juges considèrent aussi l’hypothèse d’un « pur effet du hasard » est exclue en ce qui concerne le restaurateur, puisque c’est suite à la commande du brocanteur qu’il a procédé à un nettoyage de la peinture.
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Palimpsestes
L’antiquaire, Christian B., se pourvoit en cassation. La Cour observe, le 5 juillet, que « seules peuvent recevoir la qualification de trésor les choses corporelles matériellement dissociables du fonds dans lequel elles ont été trouvées et, comme telles, susceptibles d’appropriation ». Or, le brocanteur a acquis la propriété du tableau peint sur bois litigieux, sous laquelle était dissimulée l’œuvre attribuée à Jean Malouel. « Il en résulte que cette œuvre est indissociable de son support matériel, dont la propriété au profit de M. X [le brocanteur ] est établie, de sorte qu’elle ne constitue pas un trésor au sens du texte précité. » Le pourvoi est rejeté.
Il a fallu cinq ans pour que la justice dise que le chef-d’œuvre dissimulé sous la peinture verdâtre n’était pas un trésor… L’arrêt de la Cour de cassation vaudra pour d’autres tableaux, mais aussi « pour les palimpsestes », indique l’avocat du brocanteur, Me Dominique Foussard. Les palimpsestes sont des manuscrits constitués d’un parchemin déjà utilisé, dont on a fait disparaître les inscriptions pour pouvoir y écrire de nouveau.
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