Pourquoi la transparence salariale en entreprises risque d’être très opaque en juin 2026 ?

Toutes les entreprises françaises sont concernées par la directive de transparence salariale, devant être effective en juin 2026. Mais la grande majorité des sociétés ne seront pas prêtes... Ou n’auront pas envie de l’être.

lundi 8 décembre 2025, par Denis Lapalus

Tous les salariés en France sont concernés par la directive de transparence salariale, mais… Beaucoup de petites entreprises pensent ne pas être concernées par cette mesure, à tort.

Transparence salariale : les nouvelles obligations des entreprises

L’Union européenne a adopté en mai 2023 une directive visant à renforcer les obligations de transparence salariale dans les entreprises afin de réduire les inégalités entre les femmes et les hommes. Ce nouveau cadre réglementaire constitue un tournant pour les organisations et les invite à repenser leur approche des rémunérations. Cette directive, qui doit être transposée d’ici à juin 2026 en droit français, obligera les entreprises à communiquer de façon plus transparente :
 Sur leur politique salariale, avec l’obligation de faire connaître à leurs salariés les critères précis et objectifs de rémunération et d’évolution des salaires de l’entreprise ;
 Sur le positionnement salarial au sein de l’entreprise, avec le droit pour les salariés de demander et de recevoir des informations sur les niveaux de rémunération de leurs collègues occupant un travail « de valeur égale » dans l’entreprise. Les entreprises de plus de 100 salariés devront également publier des salaires moyens/médians ventilés par sexe et par type de poste. Si les écarts de salaire entre les hommes et les femmes sont supérieurs à 5 % et non justifiables, elles devront prendre des mesures correctives ;
 Lors d’un recrutement, avec l’obligation de publier un salaire ou une fourchette de salaires dans les offres d’emploi et l’interdiction de demander leur salaire précédent aux candidats et candidates.

Les entreprises ne seront pas prêtes...

L’agence HOW MUCH dévoile les résultats d’une nouvelle enquête nationale menée auprès de 5 529 entreprises (TPE, PME, ETI et GE) afin de mesurer leur retard concernant la directive de transparence salariale. Résultat : plus de 9 entreprises sur 10 n’auront pas de dispositif complet. « Contrairement à beaucoup d’articles qui prétendent que seules les sociétés de plus de 50 salariés sont visée, TOUTES les entreprises françaises sont concernées par la directive de transparence salariale. Le 7 juin 2026 est la date butoir pour que la directive soit transposée en droit français. Il reste à peine plus de six mois, alors qu’un projet de transparence salariale sérieux prend plutôt un an. Il est vraiment temps de réagir, sans plus attendre ! » confirme Sandrine Dorbes, Conférencière, Autrice, Experte en stratégie de rémunération, Créatrice de How Much.

À peine plus d’1 entreprise sur 16 a un projet en conformité

Au 2ᵉ trimestre 2025, la France compte un peu plus de 7,2 millions d’entreprises inscrites et actives au RCS (Infogreffe / CNGTC) qui emploient environ 15 millions de salariés. Avec les résultats de notre sondage, environ 443 540 entreprises ont déjà un projet formalisé de mise en conformité, soit seulement 6,2 %. Dans le détail : 6 % des TPE (soit 420 000 entreprises), 11 % des PME (soit 20 900 entreprises), 34 % des ETI (soit 2 480 entreprises) et 49 % des GE (soit 160 structures).

  • Les TPE et PME sont les plus en retard avec respectivement près de 67 % et 58 % qui n’ont aucun projet formalisé ni pris aucune mesure concrète.
  • Les ETI sont partagées : un tiers d’entre elles seulement ont un projet formalisé, un autre tiers reporte encore leurs actions.
  • Enfin les grandes entreprises, bien que plus avancées (70 % engagées d’une façon ou d’une autre), concentrent encore plus d’un million de salariés sans plan d’action défini.

Des chantiers très peu avancés

Dans les faits, le travail de base (diagnostic / nettoyage des données) n’est engagé que dans 16 % des TPE, 17 % des PME et 22 % des ETI, montrant que la majorité du tissu économique n’est même pas encore en phase de préparation.

La définition de grilles salariales et de critères objectifs est surtout le fait des grandes entreprises (23 %) et des ETI (20 %), les PME (12 %) et surtout les TPE (10 %) restant nettement à la traîne.

Les politiques de rémunération finalisées mais non déployées restent minoritaires (9 à 13 % selon la taille), ce qui révèle un “goulet d’étranglement” avant la mise en œuvre concrète. Finalement, le dispositif complet n’est effectivement déployé que dans 5 % des TPE, 4 % des PME, 10 % des ETI et 21 % des GE.

Combien de temps ?

Les délais de mise en conformité raccourcissent nettement à mesure que la taille de l’entreprise augmente. Côté TPE, seule une minorité se projette sur un calendrier rapide : 35 % pensent pouvoir être conformes en moins de 12 mois (13 % en moins de 6 mois, 22 % entre 6 et 12 mois), alors que près de la moitié (49 %) estiment avoir besoin d’au moins 12 mois, dont 17 % plus de 18 mois. Les TPE sont aussi celles qui expriment le plus d’incertitude : 16 % répondent « je ne sais pas », ce qui traduit un manque de lisibilité sur les exigences concrètes de la loi, mais aussi l’absence fréquente de fonction RH structurée ou de relais internes pour piloter le chantier. La majorité des PME anticipe un chantier long : 55 % estiment avoir besoin d’au moins 12 mois (dont 20 % plus de 18 mois), et seules 11 % pensent pouvoir être prêtes en moins de 6 mois, signe de moyens limités et/ou d’une faible structuration RH. Les ETI se projettent dans des délais plus courts : 57 % visent une conformité en moins de 12 mois, et seulement 8 % estiment qu’il leur faudra plus de 18 mois, ce qui traduit une capacité d’industrialisation plus élevée que les PME. Les grandes entreprises apparaissent les plus confiantes : 71 % estiment pouvoir être conformes en moins de 12 mois, dont 39 % en moins de 6 mois, grâce à des équipes RH outillées, des systèmes d’information plus robustes et une culture du reporting déjà installée.

Au global, la France risque de connaître un déploiement de la transparence salariale à deux vitesses : rapide dans les GE et une partie des ETI, mais nettement plus progressif – et véritablement problématique vis-à-vis du calendrier légal – dans les TPE et PME.

Grilles salariales : un fossé croissant entre TPE, PME, ETI et GE

Les TPE sont clairement les moins structurées de toutes les entreprises. Dans 35 % des cas, aucune population n’est couverte par des grilles ou des critères écrits. Et si l’on ajoute celles qui ne couvrent qu’au plus un quart des salariés (27 % supplémentaires), on arrive à 62 % de TPE qui n’ont, au mieux, qu’un début de formalisation. À l’inverse, seules 12 % des TPE ont des grilles et critères écrits pour plus de 75 % ou 100 % de leurs salariés. On est donc très loin d’une politique de rémunération structurée et partagée. Les PME sont également très en retard : 31 % n’ont aucune population couverte et 56 % n’ont des grilles/critères formalisés que pour au plus un quart des salariés. Les ETI se situent dans une position intermédiaire : seulement 9 % sans aucune couverture, mais à peine un tiers (32 %) ont déjà plus de 75 % ou 100 % des salariés couverts. Les grandes entreprises sont nettement plus matures : 69 % déclarent avoir des grilles et critères écrits pour plus de 75 % de leurs salariés, dont 33 % pour 100 % des effectifs. La structuration de la politique de rémunération est donc encore très partielle et les obligations de transparence salariale vont s’appuyer sur des fondations très inégales selon la taille d’entreprise.

Une mise en conformité à plusieurs vitesses

En analysant les principales obligations, la mise en conformité apparaît très contrastée. Ainsi, l’interdiction de demander l’historique de rémunération est de loin la plus avancée (47 % déjà en place, 69 % conformes au plus tard en juin 2026). À l’inverse, l’affichage des fourchettes de salaire et l’information claire sur les critères de rémunération accusent un net retard : moins de la moitié des entreprises seront prêtes à l’échéance (46 % et 47 %), et environ un tiers déclare ne pas pouvoir être conforme avant fin 2026 ou 2027.

Le reporting annuel sur les écarts F/H est relativement mieux maîtrisé (61 % déjà prêtes ou le seront à temps), mais un quart des entreprises reconnaissent qu’elles ne respecteront pas le calendrier légal.

Beaucoup de retards à prévoir

Les niveaux de confiance dans la conformité juridique au 7 juin 2026 varient fortement selon la taille de l’entreprise. Les TPE sont les moins confiantes de toutes puisque seules 32 % d’entre elles pensent être prêtes, tandis que 63 % anticipent une non-conformité au moins partielle. À cela s’ajoute 5 % de « je ne sais pas », signe d’un fort manque de visibilité sur les exigences de la loi et les moyens à mobiliser. Du côté des PME, la situation n’est guère meilleure : seulement 31 % se disent globalement prêtes, contre 66 % qui anticipent une non-conformité au moins partielle, ce qui confirme un risque massif de retard dans ce segment. Les ETI apparaissent plus partagées, avec un quasi-équilibre entre celles qui se pensent plutôt prêtes et celles qui se projettent encore non conformes, signe d’une transition en cours mais encore incertaine. Les grandes entreprises sont les plus optimistes : 67 % estiment être globalement prêtes même si près d’un tiers admet encore des risques ou des retards sur certaines obligations.

Au global, tout indique que la France va connaître une conformité à la loi à plusieurs vitesses : un noyau de GE et d’ETI capables d’être prêtes dans les temps, face à un bloc TPE–PME majoritairement en retard ou dans l’incertitude, avec un risque réel de non-conformité au 7 juin 2026.

Méthodologie : Enquête réalisée auprès d’un échantillon représentatif de 5 529 entreprises : TPE : 3 615 entreprises jusqu’à 9 salarié·es PME : 1 301 entreprises de plus de 10 à 249 salarié·es ETI : 516 entreprises de 250 à 4 999 salarié·es GE (Grandes Entreprises) : 97 entreprises de plus de 5 000 salarié·es. Sondage effectué en ligne en novembre 2025 à partir du panel de répondants BuzzPress (27 700 personnes en France sondées électroniquement par email et sur les réseaux sociaux Facebook et LinkedIn). Réponses compilées et pondérées en fonction de quotas préétablis visant à assurer la représentativité de l’échantillon et afin d’obtenir une représentativité de la population visée. Toutes les pondérations s’appuient sur des données administratives et sur les données collectées par l’INSEE et Infogreffe / CNGTC.

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