Le dialogue de sourd franco-allemand
Jeudi 17 novembre, Angela Merkel a dit "non" à la proposition française d’élargir les missions de la Banque Centrale Européenne (BCE). En clair, Paris désirait offrir à la BCE la possibilité de pouvoir intervenir sur les marchés financiers en rachetant de la dette des pays de la zone euro en difficulté.
Pour l’instant, la BCE n’a racheté des dettes qu’à hauteur de 2% du PIB de la zone euro quand dans le même temps, la Banque d’Angleterre, pourtant réputée conservatrice, s’est elle engagée à plus de 16% du PIB anglais dans le rachat d’obligations.
Pourtant, l’Angleterre est dans une situation "bien plus favorable" que la Grèce, l’Italie ou l’Espagne par exemple.
Alors pourquoi une attitude aussi catégorique ? Et faut il que la BCE intervienne pour sauver la zone euro ?
Aujourd’hui, cette question sépare les experts en deux camps de nombre à peu près équivalent, chacun représenté par un des deux poids lourds de la zone euro : la France et l’Allemagne.
Le non-interventionnisme allemand
La position soutenue par l’Allemagne consiste à dire que la BCE ne doit pas avoir un rôle de prêteur en dernier ressort, qu’une intervention massive de rachat de dettes lui donnerait de facto.
" Si les politiciens pensent que la BCE peut résoudre la crise de l’euro, alors ils se font des illusions ", affirmait ainsi jeudi, la chancelière allemande.
Selon elle, racheter massivement de la dette reviendrait à financer directement les déficits des pays et ne les pousserait à faire les efforts nécessaires pour réduire leurs déficits.
De plus, de manière encore plus générale, l’Allemagne, pionnière en matière d’indépendance de la politique monétaire, ne veut à aucun prix mêler politique monétaire et politique budgétaire. La Bundesbank est depuis très longtemps indépendante et l’Allemagne compte bien préserver ce modèle pour la BCE.
Il faut dire que l’hyperinflation connue par l’Allemagne en 1923 sous la République de Weimar [1] a laissé des traces indélébiles qui dictent encore aujourd’hui sa conduite en matière de politique monétaire.
L’interventionnisme français
De l’autre côté, ce qu’on pourrait appeler la position française, on prône au contraire l’interventionnisme de la BCE.
" le rôle de la BCE est d’assurer la stabilité de l’Euro, mais aussi la stabilité financière de l’Europe. Nous lui faisons confiance pour qu’elle prenne les mesures nécessaires. " déclarait hier Valérie Pécresse, porte-parole du gouvernement français.
En effet, afin d’apaiser la pression sur les taux d’intérêt des emprunts d’Etat, caractérisée par des écart records sur les taux à 10 ans, beaucoup d’analystes jugent qu’un geste de la BCE est l’unique solution à court terme.
C’est notamment l’enlisement du renforcement du FESF (Fonds européen de stabilité financière) qui obligerait la BCE à une intervention rapide.
Ainsi, dans un article publié ce matin dans La Tribune, Patrick Artus, directeur des études économiques de Natixis, appelait la BCE "à sauver l’Euro, et vite".
Selon lui, la BCE doit éviter l’écart des taux qui explose depuis quelques semaines en fixant des limites pour les taux à long terme. La BCE devra ensuite acheter sur les marchés autant d’obligations d’Etat nécessaires pour s’assurer que ces limites ne soient pas dépassées. Une analyse que partage la plupart des "interventionnistes".
Une solution détournée ?
A l’heure actuelle, les deux camps qui s’opposent semblent de forces égales et on voit mal aux vus des arguments exposés comment ils pourraient parvenir à trouver un consensus.
Cependant, la situation critique actuelle pourrait dans les semaines ou les jours à venir obliger la BCE à intervenir quoiqu’en pense l’Allemagne.
Une solution pourrait en effet être trouvée en passant par le FMI. Elle consisterait à un prêt de la BCE au FMI qui pourrait à son tour venir en aide directement aux pays de la zone euro en difficulté, ce qui permettrait de contourner le blocage en vigueur en ce moment.
Une solution détourner donc pour intervenir tout en sauvant la face pour le camp de la "non-intervention".